
Le fleuve se fait présent, omniscient, parfois absent, parfois déliquescent aux heures creuses de la vie

Côtoyant ses rivages je constate que le fleuve se montre tendre ou impatient, ne négligeant aucun de ses caprices

Mes bras sont deux océans le long de mon corps Le monde entier vient frapper à mes flancs (Gatien Lapointe)
Ode au Saint-Laurent
Tu nais seul et solitaire ô pays
D’abord je te baptiserai dans l’eau du fleuve
Et je te donne un nom d’arbre très clair
Je te donne mes yeux mes mains
Je te donne mon souffle et ma parole
Tu rêveras dans mes paumes ouvertes
Tu chanteras dans mon corps fatigué
Et l’aube et midi et la nuit très tendre
Seront un champ où vivre est aimer et grandir
J’assigne le temps d’aujourd’hui
Je m’assure d’un espace précis
Le ciel tremble des reflets de la terre
Je m’élancerai du plus haut de l’horizon
Et nu je connaîtrai dans ma chair
Je me cherche à tâtons dans la terre
Je perce des galeries je creuse des puits
J’écoute les oiseaux je regarde les bêtes
J’imagine un modèle avec mes propres mains
Le doute et l’espérance éclaboussent mes yeux
La pluie et le soleil annulent ma mémoire
Je ne suis qu’un bloc de terre plein de racines
J’apprendrai par tous les chemins
Le temps me nommera
J’apprivoise et je noue j’épelle et je couronne
Je compare toutes les images du sang
J’adapte ma face à celles des heures
Je suis le chant du pain les verdures de givre
Je suis un paysage d’ailes et de vagues
Je me rêve dans un arbre dans un une pulpe
Je touche de la main pour connaître mon cœur
Et ma voix est un jour et une nuit très proches
Dans mon pays il y a un grand fleuve
Qui oriente la journée des montagnes
Je dis les eaux et tout ce qui commence
Dans ma chair dans mon cœur
Je dis ce mot qui s’éveille en mes paumes
Je lancerai un chant dans l’univers
J’entre dans le temps je borne l’espace
Je dispose couleurs et formes
J’unis et j’agrandis j’abrège et je dénude
Je me construis un abri ici-bas
Nommerai-je infini chaque visage
Deviendrai-je le monde que je rêve
Trouverai-je une seule parole
J’ai pris mon élan sur la haute vague
J’apprends sur terre le songe de dire
Je marche dans les pas du temps
Je m’informe de chaque route
Et j’accompagne par-delà la nuit
J’ouvre à l’homme un champ d’être
Gatien Lapointe – Ode au Saint-Laurent
L’espérance du monde
Le jour commençait à grandir
Chacun reconnaissait son visage son paysage
En secret chacun parlait de vivre et d’aimer
Nous avons recouvert nos mains de terre tendre
Avons pesé le poids d’une journée
Avons appris la marche des saisons
Avons fait un chemin de l’instant à l’année
Avons semé des fleurs dans le bois de nos portes
Avons allumé un grand feu sur la montagne
Avons donné nos figures au fleuve
Avons établi les tables de la cité
Avons écrit des noms d’ici sur nom frontons
Avons rêvé avec le sapin et l’érable
Avons rempli d’eau les yeux brûlants du soleil
Avons caché un printemps sous chaque nuage
Avons pris en mains les bêtes perdues
Avons fleuri le lit du premier couple
Avons étendu le rosée sur nos fenêtres
Avons balisé la nuit de blessures vives
Avons imaginé le grand oeuvre du jour
Avons fait de nos corps un langage d’ici
Avons baptisé notre enfance de noms d’arbres
Avons jeté des graines sur chaque marée
Avons soufflé dans chaque nid d’oiseaux
Avons mis de la neige sur nos armes
Avons planté des lampes près du pain levant
Avons écrit notre âge sur la pierre nue
Avons juré éternel le premier amour
Nous continuons l’espérance du monde.
Gatien Lapointe – L’espérance du monde