
Dans ce parc, illuminé, Émile est toujours immobile. La vie d’Émile n’a pas été heureuse. Le poète au Vaisseau d’Or a beaucoup pleuré
Quand je n’étais qu’au seuil de ce monde mauvais,
Berceau, que n’as-tu fait pour moi tes draps funèbres ?
Ma vie est un blason sur des murs de ténèbres,
Et mes pas sont fautifs où maintenant je vais.Emile Nelligan – Devant mon berceau

Pour se souvenir d’Émile il faut venir dans ce parc, le Carré Saint-Louis. Émile a eu deux vies. Dans le monde libre et dans celui des fous. Aujourd’hui il a retrouvé le monde libre, oublié des siens
Nous étions là deux enfants tristes
Buvant la paix du sanctuaire,
Sous la veilleuse mortuaire
Aux vagues reflets d’améthyste.Nos voix en extase à cette heure
Montaient en rogations blanches,
Comme un angélus des dimanches,
Dans le lointain qui prie et pleure…Emile Nelligan – Chapelle dans les bois

A l’ombre des maux qui l’ont tant affligé, Émile Nelligan a retrouvé un sourire furtivement esquissé et figé maintenant dans un buste
Ici sondons nos cœurs pavés de désespoirs.
Sous les arbres cambrant leurs massifs torses noirs
Nous avons les Regrets pour mystérieux hôtes.Et bien loin, par les soirs révolus et latents,
Suivons là-bas, devers les idéales côtes,
La fuite de l’Enfance au vaisseau des Vingt ans.Emile Nelligan – La fuite de l’enfance

Peut-être ne le sais-tu pas, mon cher Émile. Je reviens te voir souvent, l’été, parce qu’il y a des fleurs dans et autour de ton vieux parc
De mon berceau d’enfant j’ai fait l’autre berceau
Où ma Muse s’endort dans des trilles d’oiseau,
Ma Muse en robe blanche, ô ma toute Maîtresse !Oyez nos baisers d’or aux grands soirs familiers…
Mais chut ! j’entends la mégère Détresse
A notre seuil faisant craquer ses noirs souliers !Emile Nelligan – Le berceau de la muse

J’aime me promener ici parce que, de chaque visite, renaît le goût de te relire, de repenser à ces mots si tristes que tu nous as légués avant ton enfermement
Aux soupirs de l’archet béni,
Il s’est brisé, plein de tristesse,
Le soir que vous jouiez, comtesse,
Un thème de Paganini.Comme tout choit avec prestesse !
J’avais un amour infini,
Ce soir que vous jouiez, comtesse,
Un thème de Paganini.Emile Nelligan – Le violon brisé

Sont-ils tous et toutes ici pour te voir? J’en doute. Mais la seule idée de te savoir sorti de la nef des fous me réconforte
Le violon, d’un chant très profond de tristesse,
Remplit la douce nuit, se mêle aux sons des cors,
Les sylphes vont pleurant comme une âme en détresse,
Et les cœurs des arbres ont des plaintes de morts.Le souffle du Veillant anime chaque feuille ;
Aux amers souvenirs les bois ouvrent leur sein ;
Les oiseaux sont rêveurs ; et sous l’oeil opalin
De la lune d’été ma Douleur se recueille…Emile Nelligan – Nuit d’été

Tu vois Émile. Cet été le parc s’est fait beau. Le parc s’est fait ombre et lumière. S’il pouvait en être toujours ainsi…
Refoulons la sente
Presque renaissante
A notre ombre passante.Confabulons là
Avec tout cela
Qui fut de la villa.Parmi les voix tues
Des vieilles statues
Çà et là abattues.Dans le parc défunt
Où rôde un parfum
De soir blanc en soir brun…Emile Nelligan – Refoulons la sente