
Bonjour Sam. Quelle belle lumière en ce samedi! Et une température de moins dix-sept degrés… Comment fais-tu pour supporter un tel froid? Et cette cueillette va bien?

En ce beau samedi, je reprends le mot de Maurice Blanchot : On n’échappe pas au spectacle du bonheur. Et de cette journée radieuse j’en retire une certaine légèreté et relativité de la vie

Je me sens transporté par une vision idyllique et par des élans de refroidissement intérieur intenses. J’en déduis une certaine influence des Syllogismes de l’amertume d’Emil Cioran qui n’hésitait pas à écrire que chaque pensée devrait rappeler la ruine d’un sourire. Voilà ce que je lis. Voilà ce qui me guide par ces jours ensoleillés. Heureuse relativité d’instants éphémères de bonheur. Un livre que je retrouve avec bonheur
Si je puis lutter contre un accès de dépression, au nom de quelle vitalité m’acharner contre une obsession qui m’appartient, qui me précède ? Que je me porte bien, j’emprunte le chemin qui me plaît ; « atteint » ce n’est plus moi qui décide : c’est mon mal. Pour les obsédés point d’option : leur obsession a déjà opté pour eux, avant eux. On se choisit quand on dispose de virtualités indifférentes ; mais la netteté d’un mal devance la diversité des routes ouvertes au choix. Se demander si on est libre ou non, — vétille aux yeux d’un esprit qu’entraînent les calories de ses délires. Pour lui, prôner la liberté, c’est faire montre d’une santé déshonorante.
La liberté ? Sophisme des bien portants.
Emil Cioran – Syllogismes de l’amertume

Et Maurice Blanchot nous le rappelait à juste titre que là où la légèreté est donnée, la gravité ne manque pas

Si loin s’étend la mort, écrivait encore Cioran, tant elle prend de place, que je ne sais plus où mourir

Dans l’Escroc du gouffre, toujours d’Emil Cioran, je lis que dans cet univers provisoire, nos axiomes n’ont qu’une valeur de faits divers. Et j’ai tenu pour vrai, une grande partie de ma vie, ce constat.

Parfois le pessimisme de l’écrivain m’atteint parce que mêlé de scepticisme. Et Cioran encore une fois écrit, non sans une certaine pointe d’humour, que le philosophe « généreux » oublie à ses dépens que d’un système seules survivent les vérités nuisibles

Salutaire relativité du temps chez Cioran pour qui le temps est interdit. Ne pouvant en suivre la cadence, je m’y accroche ou le contemple, mais n’y suis jamais : il n’est pas « mon élément ». Et c’est en vain que j’espère un peu de temps de tout le monde!

Déambuler, sans cadence dans le temps tout en laissant vagabonder l’imagination, me permet de relativiser sur l’instant présent, sur ces feuilles mortes dont le linceul est la mémoire des grands arbres verts ou blancs
N’eût été l’impertinence de me croire l’être le plus malheureux de la terre, il y a longtemps que je me serais effondré.
Emil Cioran – Syllogismes de l’amertume

Et que propose Emil Cioran? « J’ai longtemps cru aux vertus métaphysiques de la fatigue : il est vrai qu’elle nous plonge jusqu’aux racines du temps ; mais qu’en rapportons-nous? Quelques fadaises sur l’éternité »

Et devant ce spectacle de la dualité entre vie et mort, les mots de Cioran prennent tout leur sens : l’intérêt que nous portons au Temps émane d’un snobisme de l’irréparable

Et je laisse encore à Emil, l’être qui déambule dans le Temps, ce mot de la fin : entre l’Ennui et l’Extase se déroule toute notre expérience du temps