L’arbre aux cent courbures
« Uatshinakan en innu, waachinaakan ou waachinaakin en cri, uakinagan en algonquin, waachinaakin en naskapi, le mélèze (larix), seul conifère à s’effeuiller durant l’hiver, porte bien son nom de uatshin, «courbe faite à la main». L’arbre aux cent courbures est plus d’une fois mis à contribution. La force de son bois ou de son écorce convient bien aux courbures des patins des traîneaux innus et algonquins » (Source : Le jardin des Premières-Nations).
A partir de cette magnifique définition du mélèze, j’ai voulu imaginer un jardin avec des arbres aux cent courbures, élargissant ainsi la beauté et l’évocation de l’image.
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Le premier arbre
C’était lors de mon premier arbre,
J’avais beau le sentir en moi
Il me surprit par tant de branches,
Il était arbre mille fois.
Moi qui suis tout ce que je forme
Je ne me savais pas feuillu,
Voilà que je donnais de l’ombre
Et j’avais des oiseaux dessus.
Je cachais ma sève divine
Dans ce fût qui montant au ciel
Mais j’étais pris par la racine
Comme à un piège naturel.Jules Supervielle (1884 – 1960)
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Le premier arbre
C’était lors de mon premier arbre,
L’homme s’assit sous le feuillage
Si tendre d’être si nouveau.
Etait-ce un chêne ou bien un orme
C’est loin et je ne sais pas trop
Mais je sais bien qu’il plut à l’homme
Qui s’endormit les yeux en joie
Pour y rêver d’un petit bois.
Alors au sortir de son somme
D’un coup je fis une forêt
De grands arbres nés centenaires
Et trois cents cerfs la parcouraient
Avec leurs biches déjà mères.
Ils croyaient depuis très longtemps
L’habiter et la reconnaître
Les six-cors et leurs bramements
Non loin de faons encore à naître.Jules Supervielle (1884 – 1960)
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La forêt
Forêt silencieusee, aimable solitude,
Que j’aime à parcourir votre ombrage ignoré
Dans vos sombres détours, en rêvant égaré,
J’éprouve un sentiment libre d’inquiétude,
Prestige de mon coeur! je crois voir s’exhaler
Des arbres, des gazons, une douce tristesse:
Cette onde que j’entends murmure avec mollesse,
Et dans le fond des bois semble encor m’appeler.
Oh! que ne puis-je, heureux, passer ma vie entièreFrançois-René de Chateaubriand (1768 – 1848)
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Sonnet
Qui a vu quelque fois un grand chêne asséché,
Qui pour son ornement quelque trophée porte,
Lever encore au ciel sa vieille tête morte,
Dont le pied fermement n’est en terre fiché,Mais qui dessus le champ plus qu’à demi penché
Montre ses bras tout nus, et sa racine torte,
Et sans feuille ombrageux, de son poids se supporte
Sur un tronc nouailleux en cent lieux ébranché:Et bien qu’au premier vent il doive sa ruine,
Et maint jeune à l’entour ait ferme la racine,
Du dévot populaire être seul révéré:Qui tel chêne a pu voir, qu’il imagine encore
Comme entre les cités, qui plus florissent ore,
Ce vieil honneur poudreux est le plus honoré.Joachim du Bellay (1522-1560)
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L’arbre
J’avais un grand arbre vert
Où nichait mon enfance ailée,
Un arbre grand troué de lumière
Qui remplissait le haut de mon âme.J’avais de douces branches vertes
Où chantait mon enfance triste,
Des branches vertes et sonores
Qui répétaient les chagrins de mon âme.J’avais mille feuilles vertes
Où palpitait l’élan de mon enfance,
Des feuilles lisses et captives
Comme les oiseaux de mon âme.J’avais un grand arbre vert
Où se dénouait la fleur de mon enfance,
Pour quel printemps, pour quelle abeille ?
Pour quelle joie, pour quelle souffrance ?Rina Lasnier – « L’arbre », Escales, dans Poèmes I, Montréal, Fides, 1972
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quel arbre merveilleux (et que vous le mettez bien en valeur) l’arbre aux beaux noms et aux cent courbures –
un bien beau billet et de beaux vers
Quel magnifique hommage aux arbres! Une promenade en forêt vous calme et vous revivifie en même temps, et l’arbre vous transmet sa force tranquille, sa solidité, sa majesté. Un arbre bien enraciné résiste aux vents, aux orages, il peut plier mais ne rompt pas… Vous de même, si vous êtes bien ancré au sol, les coups du sort peuvent vous faire ployer, mais vous résisterez, redresserez la tête et vous continuerez à croître. Un gros merci cher Pierre pour ces magnifiques photos et textes! Bonne soirée toute douce!
Quelle belle vision de l’arbre, le mélèse est parmis mes préférés, j’aurais le goût de faire une fête de l’arbre, ils embellissent tellement notre vie. Merci d’avoir trouvé ces textes magnifiques sur l’arbre.
Les arbres nous apportent leur force et l’été ils sont bienveillants envers nous. Ils nous offrent leur ombre avec leur magnifique feuillage. C’est un très beau billet, Pierre, empreint de douceur, de merveilles et de textes superbes. Merci et je vous souhaite un bon dimanche.
Sam, dans cet arbre, doit perdre son chemin ^^