Archives
Tous les articles du mois de mars 2013
___________________________
La philosophie nous ordonne d’avoir la mort toujours devant les yeux, de la prévoir et considérer avant le temps et nous donne après les régies et les précautions pour pourvoir à ce que cette prévoyance et cette pensée ne nous blessent. Ainsi font les médecins qui nous jettent aux maladies, afin qu’ils aient où employer leurs drogues et leur art. Si nous n’avons su vivre, c’est injustice de nous apprendre à mourir et de difformer la fin de son tout. Si nous avons su vivre constamment et tranquillement, nous saurons mourir de même.
Montaigne – Essais
___________________________
___________________________
L’homme peut naître esclave dans une société païenne ou seigneur féodal ou prolétaire. Ce qui ne varie pas, c’est la nécessité pour lui d’être dans le monde, d’y être au travail, d’y être au milieu d’autres et d’y être mortel… Et bien que les projets puissent être divers, au moins aucun ne me reste-t-il tout à fait étranger parce qu’ils se présentent tous comme un essai pour franchir ces limites ou pour les reculer ou pour les nier ou pour s’en accommoder
Jean-Paul Sartre – L’Existentialisme est un humanisme p.67,69
___________________________
___________________________
(…) de même que la volonté a pour compagne assurée la vie, qui est son expression propre, de même le présent a pour compagne assurée la vie dont il est l’unique manifestation. Donc nous n’avons à nous occuper ni du passé qui a précédé la vie, ni de l’avenir après la mort ; au contraire, nous avons à reconnaître le présent pour la forme unique sous laquelle puisse se montrer la volonté. On ne peut le lui arracher, non plus d’ailleurs que l’en arracher.
Arthur Schopenhauer – Le monde comme volonté et comme représentation, P.U.F. p.356-357
___________________________
___________________________
Il n’y a rien de plus proche de la véritable humilité que l’intelligence. Il est impossible d’être fier de son intelligence au moment où on l’exerce réellement. Et quand on l’exerce on n’y est pas attaché. Car on sait que, deviendrait-on idiot l’instant suivant, et pour le reste de la vie, la vérité continue à être.
Simon Weil – La Pesanteur et la grâce, éd. Plon, 1988
___________________________
___________________________
Avec le temps les grands fleuves tarissent,
Avec le temps s’amollit le dur fer,
Avec le temps les batailles finissent
Avec le temps se cave le rocher,
Mais ta rigueur et ta fière inconstance,
Incessamment fait au temps résistance.
Claude de Pontoux
Cité par Gilles Henry – L’esprit des dates, éd. Ed. Cheminements, 2004, p. 267
___________________________
___________________________
(…) à l’homme animé de sérieux, la pensée de la mort donne l’exacte vitesse à observer dans la vie, et elle lui indique le but où diriger sa course. Et nul arc ne saurait être tendu ni communiquer à la flèche sa vitesse comme la pensée de la mort stimule le vivant dont le sérieux tend l’énergie.
Sören Kierkegaard – Traité du désespoir, Point Gallimard
___________________________

Et si le printemps se faisait séduction? Je sais bien que « la nature ne fait pas de sauts », comme l’écrivait Leibniz (Nouveaux Essais, IV, 16). Mais est-il interdit d’en attendre avec volupté son arrivée?
___________________________
« Tout part, tout revient; éternellement roule la roue de l’être.
Tout meurt, tout refleurit, à tout jamais court l’an de l’être.
Tout se brise, tout se remet en place; éternellement se rebâtit la même maison de l’être.
Tout se sépare, tout à nouveau se salue; éternellement fidèle reste à lui-même l’anneau de l’être.
A chaque instant l’être commence; autour de chaque Ici roule la sphère Là-bas.
Le centre est partout. Courbe est la sente de l’éternité ».Friedrich Nietzsche – Ainsi parlait Zarathoustra
___________________________

Je ne me refuse pas à cette idée selon laquelle « le désir qui naît de la joie est plus fort, toutes choses égales d’ailleurs, que le désir qui naît de la tristesse », comme l’évoquait si bien Spinoza

Je cède volontiers au désir de goûter les arômes et de humer les effluves du printemps. « Ce qu’on n’a pas, ce qu’on n’est pas, ce dont on manque, voilà les objets du désir et de l’amour », nous prévenait déjà Platon

Nous ne dominons pas les saisons car, comme l’indique si bien Proust, : « Le désir fleurit, la possession flétrit toutes les choses »

Tant de printemps ont passé sans objet de désir… comment rattraper le temps perdu? « Malheur à qui n’a plus rien à désirer », prévenait tout haut Rousseau. Mais comment rattraper le temps perdu… devant si peu de printemps à venir
___________________________
On a l’habitude de dire que l’oisiveté est la mère de tous les maux. On recommande le travail pour empêcher le mal. Mais aussi bien la cause redoutée que le moyen recommandé vous convaincront facilement que toute cette réflexion est d’origine plébéienne. L’oisiveté, en tant qu’oisiveté, n’est nullement la mère de tous les maux, au contraire, c’est une vie vraiment divine lorsqu’elle ne s’accompagne pas d’ennui. Elle peut faire, il est vrai, qu’on perde sa fortune, etc., toutefois une nature patricienne ne craint pas ces choses, mais bien de s’ennuyer. Les dieux d’Olympes ne s’ennuyaient pas, ils vivaient heureux en une oisiveté heureuse. (…) L’ennui est la mère de tous les vices, c’est lui qui doit être tenu à l’écart. L’oisiveté n’est pas le mal et on peut dire que quiconque ne le sent pas prouve, par cela même, qu’il ne s’est pas élevé jusqu’aux humanités.
Sören Kierkegaard
___________________________
___________________________
Si quelqu’un me demande si je trouve beau le palais que j’ai devant les yeux, je peux toujours répondre que je n’aime pas ce genre de choses qui ne sont faites que pour les badauds ; ou bien comme ce sachem iroquois, qui n’appréciait rien à Paris autant que les rôtisseries ; je peux aussi, dans le plus pur style de Rousseau, récriminer contre la vanité des Grands, qui font servir la sueur du peuple à des choses si superflues ; je puis enfin me persuader bien aisément que si je me trouvais dans une île déserte, sans espoir de revenir jamais parmi les hommes, et si j’avais le pouvoir de faire apparaître par magie, par le simple fait de ma volonté, un édifice si somptueux, je ne prendrais même pas cette peine dès lors que je disposerais déjà d’une cabane qui serait assez confortable pour moi. On peut m’accorder tout cela et y souscrire, mais là n’est pas le problème. (…) Définition du beau : Le goût est la faculté de juger ou d’apprécier un objet ou un mode de représentation par une satisfaction ou un déplaisir, indépendamment de tout intérêt. On appelle beau l’objet d’une telle représentation.
Emmanuel Kant – Critique de la faculté de juger, trad. J.-R. Ladmiral, M. B. de Launay et J.-M. Vaysse, Gallimard, Bibl. de la Pléiade, t. 2, pp. 959-967
___________________________
___________________________
L’un trouve la couleur violette douce et aimable, un autre la trouve morne et terne ; l’un préfère le son des instruments à vent, l’autre celui des instruments à cordes. Discuter à ce propos pour accuser d’erreur le jugement d’autrui, qui diffère du nôtre, comme s’il s’opposait à lui logiquement, ce serait folie ; au point de vue de l’agréable, il faut admettre le principe : à chacun son goût (il s’agit du goût des sens). Il en va tout autrement du beau. Car il serait tout au contraire ridicule qu’un homme pensât justifier ses prétentions en disant : cet objet (l’édifice que nous voyons, le vêtement qu’untel porte, le concert que nous entendons, le poème que l’on soumet à notre jugement) est beau pour moi. Car il ne suffît pas qu’une chose lui plaise pour qu’il ait le droit de l’appeler belle , beaucoup de choses peuvent avoir pour lui du charme et de l’agrément, personne ne s’en soucie, mais quand il donne une chose pour belle, il prétend trouver la même satisfaction en autrui ; il ne juge pas seulement pour lui mais pour tous et parle alors de la beauté comme si elle était une propriété des objets; il dit donc : la chose est belle, et s’il compte sur l’accord des autres avec son jugement de satisfaction, ce n’est pas qu’il ait constaté à diverses reprises cet accord mais c’est qu’il l’exige.
Emmanuel Kant – Critique du jugement, § 7
___________________________
___________________________
J’ai remarqué dans les vicissitudes d’une longue vie que les époques des plus douces jouissances et des plaisirs les plus vifs ne sont pourtant pas celles dont le souvenir m’attire et me touche le plus. Ces courts moments de délire et de passion, quelque vifs qu’ils puissent être, ne sont cependant, et par leur vivacité même, que des points bien clairsemés dans la ligne de la vie. Ils sont trop rares et trop rapides pour constituer un état, et le bonheur que mon cœur regrette n’est point composé d’instants fugitifs mais un état simple et permanent, qui n’a rien de vif en lui-même, mais dont la durée accroît le charme au point d’y trouver enfin la suprême félicité.
Jean-Jacques Rousseau – Les rêveries du promeneur solitaire, 5ème rêverie
___________________________

J’aime bien cette image des flocons qui se lovent au creux des branches. Image à la fois triste et annonciatrice du printemps

Je ressens à l’apparition des couleurs vives du printemps une certaine nostalgie de départ et d’arrivée

Et la nostalgie fait rapidement place à un espoir fou de voir enfin apparaître les traits et les coloris du printemps